Me dissocier de mon père
Rédigé par Une Voix
Classé dans : Parentalité
C'est un peu tard, mais il m'a fallu tout ce temps pour exposer toute la distance existentielle, morale, personnelle qui me sépare de mon père.
Je me sens depuis toujours très différent et opposé sur de nombreux points à mon père. Distant des valeurs qui sont les siennes, des priorités qui sont les siennes, loin de l'approche relationnelle qui est la sienne.
Mais l'aspect nouveau, c'est d'avoir ressenti un besoin profond très tardif de lui signifier de manière claire, explicite et catégorique toute cette distance qui nous sépare. Le jeune père que je suis a eu besoin de s'affirmer. De souligner tout ce qui me distingue et me dissocie, en tant que père, de mon propre père.
Avant cette lettre, les différences de personnalités et de valeurs étaient évidemment là. Je les ai parfois exprimées ou soulignées, mais jamais avec autant de vigueur qu'à travers cette lettre.
Nous étions différents et c'était là quelque chose de parfaitement normal, naturel. Chacun son identité, ses choix, sa vie, sa personnalité.
Je ne ressentais pas le besoin d'affirmer et d'insister sur nos différences, car je ne lui contestais pas, au fond, le rôle de père qu'il avait eu.
Mais en devenant père moi-même, toutes les carences, les absences, tous les vices, toute la toxicité et toutes les malversations de mon père me sont devenus insupportables. Tout cela n'était plus le simple fait d'une personnalité particulière, assez pathologique mais libre après tout de vivre sa vie comme bon lui semblait. Tout cela devenait à mes yeux presque criminel, comme autant d'atteintes à la famille et à l'importance des liens familiaux.
Car il n'est plus question de liberté, de libre-arbitre, de mode de vie et de personnalité (pathologique ou pas), de gentille tolérance voire de sympathie pour les gens borderline, lorsque la vie d'un enfant est en jeu.
La nature des liens familiaux qu'il y a autour de cet enfant est décisive. Elle détermine la possibilité qu'il grandisse dans un environnement sain, une famille saine, qu'il grandisse dans l'amour ou qu'au contraire, il grandisse dans une famille désunie, malsaine, toxique, néfaste...
L'absence de mon père dans ma vie et dans celle de ma fille, son désintérêt total pour sa petite-fille, son absence d'accompagnement dans ma propre paternité - dans cet apprentissage pour le moins difficile et délicat -, son égoïsme et sa toxicité n'avaient plus rien à mes yeux du libre arbitre, du libre droit de se comporter comme on veut... Cela avait tout de la maltraitance ou de l'abandon.
C'est donc à quarante-et-un ans que je me suis dissocié, de manière assez radicale, de mon père en lui signifiant que je prenais acte de son abandon, de sa fuite.