Enterrement de vie de garçon

Rédigé par Une Voix
Classé dans : Parentalité Mots clés : aucun
On assiste rarement à son propre enterrement. 

On ne remue pas tous les jours la terre dont on recouvre son propre cercueil. 

Lors d'un enterrement de vie de jeune fille ou de jeune garçon, c'est pourtant ce qu'il se passe : on enterre sa propre vie symboliquement. On enterre une vie qu'on a eue et à laquelle on renonce. 

Cécile et moi n'étions pas mariés (j'ai quelques réserves vis-à-vis de l'institution matrimoniale), je n'ai donc pas connu ce rituel de l'enterrement de vie de garçon. Mais en devenant père, c'est bien mon ancienne vie de jeune homme que j'enterrais. Celle-ci disparaîtrait à tout jamais. 

Une vie nouvelle la remplacerait. Mais il y avait un deuil, un deuil à faire : le deuil de mon ancienne vie. Un deuil ne se fait pas en un seul jour ; il faut du temps, et ce deuil là ne fait pas exception. 

J'aimais la vie libre et sans contraintes de jeune homme. L'insouciance de cette vie de jeune homme. Le fait de pouvoir s'adonner à un travail, à un engagement, à une cause, à une passion sans autre limite de temps, de moyens et d'argent que ceux que l'on se donne à soi-même. 

Avec un enfant, les limites de temps, de moyens et d'argent surviennent très vite. Du temps et des moyens pour faire ce que l'on aime ou s'adonner à une passion chronophage, on en a beaucoup moins avec l'arrivée de bébé dans sa vie. Au tout début, on en a même carrément plus du tout, de ce si nécessaire et si précieux temps pour soi. Ce n'est ni définitif, ni irrémédiable, mais les débuts de la parentalité me sont apparus comme incroyablement difficiles et exigeants. C'était un sacerdoce, un sacrifice de soi presque total pour son enfant. 

Une forme d'ardeur chez moi, aussi, en prenait un coup. Un côté absolutiste, jusqu'au-boutiste. Sans peur et sans reproches. Prêt à tout pour défendre mes croyances, mes convictions, mes valeurs et le monde dans lequel je voulais vivre. 

Ce côté là mourrait-il avec la naissance de mon enfant ? 

Je sentais que quelque chose vacillait chez moi à la perspective d'être père. Cette capacité à tout donner pour mes valeurs et pour un monde de mon point de vue désirable, cette énergie là me semblait mise en danger, mise en cause et mise en balance. 

Il ne serait plus question de tout risquer pour mes idées. Il fallait d'abord penser à mon enfant. Il ne serait plus question d'être tourné prioritairement vers les autres et vers le monde, mais vers soi et son enfant ; plus question de m'abandonner à des projets incertains et chronophages, de me laisser aller à des aventures excitantes mais déraisonnables... Cette énergie qui m'animait au plus profond de moi-même - ma folie douce, cette énergie tournée vers les autres et vers le monde -, je craignais de la perdre à jamais. Cette crainte était peut-être infondée ou temporaire, mais elle était très réelle. 

Être parent impliquait d'être mesuré, conscient, responsable. Cela impliquait de sauver sa peau avant de sauver le monde. Cela engagerait peut-être un certain repli sur soi, une attitude un peu protectionniste... On n'engage pas le même rapport au monde et aux autres quand on a la vie de quelqu'un entre ses mains. Cette vie devient prioritaire, par le simple fait qu'elle dépend entièrement des adultes qui l'entourent, au premier rang desquels les parents. 

Dans quelle mesure ma paternité nouvelle allait-elle modifier l'énergie d'être-au-monde qui était la mienne ? L'atrophierait-elle, lui laisserait-elle de l'espace ou pouvait-elle la démultiplier ? Fallait-il craindre de voir mes aspirations à "changer le monde" disparaître dans la vie domestique et les responsabilités familiales ?